Vertiges de l'abus de droit
Le 05/02/2019Qu’en est-il de l’abus de droit actuellement ?
Jusqu’à présent, la procédure de répression de l’abus de droit (fiscal ou social) sanctionne d’une majoration de 40 à 80% les opérations redressées par l’administration pour avoir éludé l’impôt ou des contributions par des actes poursuivant un but exclusivement fiscal.
Lorsque le comité d’abus de droit (fiscal ou social) rend une décision en faveur de l’administration c’est au contribuable de prouver la réalité de son opération et l’absence de but exclusivement fiscal.
Quelles sont les nouveautés ?
Tout d’abord, la loi de finances pour 2019 donne à l'administration et aux caisses de sécurité sociale la possibilité de mettre en œuvre une nouvelle procédure de répression de l’abus de droit en cas d'opérations réalisées dans un but principalement fiscal.
Les pénalités de 40% ou 80% ne s’appliquant plus de façon automatique mais seulement en cas de manquement délibéré ou de manœuvre frauduleuse.
Cette mesure s’appliquera aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes réalisés à compter du 1er janvier 2020.
Enfin, qu’il s’agisse de cette nouvelle procédure ou de l’ancienne et sauf en cas de graves irrégularités comptables, c’est l’administration qui aura systématiquement la charge de la preuve pour toutes les nouvelles affaires.
Important : si le contribuable l’a préalablement consultée par écrit (procédure dite du rescrit) l’administration fiscale ne peut pas recourir à ces procédures.
Et demain ?
La nouvelle procédure ne supprimera pas l’actuelle. Les deux ont vocation à coexister comme les différents étages d’un même édifice.
1) Procédure de l’article L64 du Livre de Procédure Fiscale
2) Prévue par l’article 1729b du Code Général des Impôts
3) Procédure du nouvel article L64A du Livre de Procédure Fiscale
Pourquoi tant d’émotion ?
Ce glissement sémantique de « exclusivement » à « principalement » est une importante extension du domaine de l’abus de droit. Il fait actuellement couler beaucoup d’encre dans la presse spécialisée et inquiète certains praticiens du chiffre et du droit.
En effet, personne ne sait encore quelles opérations pourraient être concernées ce qui laisse place à l’imagination et au vertige de l’inconnu. L’administration fiscale n’a pas encore dit comment elle compte démontrer le caractère principalement fiscal d’une opération poursuivant par ailleurs un ou plusieurs buts patrimoniaux par nature difficiles à quantifier.
La mesure est-elle constitutionnelle ?
Le conseil constitutionnel avait censuré une version proche de cette nouvelle procédure lors de l’examen de la loi de finances 2014 mais n’a pas été saisi et ne s’est pas auto-saisi de l’examen de ces dispositions. Cependant, une Question Prioritaire de Constitutionnalité pourrait dans un avenir proche l’amener à répondre à cette question.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Il est un fait que la loi fiscale soutient depuis de nombreuses années certaines décisions patrimoniales par l’attribution d’avantages fiscaux (investissement locatif, pacte Dutreil…)
Ensuite, l’effet différé de la mesure, la possibilité de rescrit, les débats en cours, la position future de l’administration, des juges et éventuellement du conseil constitutionnel, voire un revirement législatif vont nourrir la compréhension de ce nouveau cadre.
Nous suivrons avec vous les immanquables développements de ce débat.
Dans un communiqué du 19 janvier 2019, le Ministère de l’action et des comptes publics (en réponse à la question du Sénateur Claude MALHURET) a souhaité apporter les précisions suivantes au sujet de l'extension du domaine de l'abus de droit :
"En ce qui concerne la crainte exprimée d’une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives. En effet, la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu’elles permettent de bien préparer les successions, notamment d’entreprises, et qu’elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle. L’inquiétude exprimée n’a donc pas lieu d’être."
La sérénité des familles et des dirigeantes et dirigeants d’entreprises tiendra pour une bonne part à ce qu’ils s’attachent à l’avenir comme aujourd’hui à respecter les fondamentaux de la gestion de patrimoine. C’est-à-dire en prenant leurs décisions de gestion avec l’appui de leurs conseils habituels (avocat, notaire, banquier, comptable…) et seulement lorsqu’elles répondent à des besoins et objectifs patrimoniaux, entrepreneuriaux et familiaux bien établis avant d’y intégrer la dimension fiscale et non l’inverse.
Article rédigé le 24/01/2019
par Joris Picard, ingénieur patrimonial
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